Nadine Rauch, Présidente du Groupement des infirmiers en santé au travail réagit sur la Loi Santé au Travail et les décrets concernant les infirmiers de santé au travail
Infirmiers en santé au travail : les sacrifiés d’une réforme
Comment la dernière Loi sur la santé au travail réduit les IST à de simples exécutants au détriment de leur rôle propre, les dépossédant de leur indépendance et les rendant définitivement sous tutelle du médecin du travail.
Comment en est-on arrivé à cet aboutissement ?
Suite à la publication démographique en juin 2007, le Conseil de l’Ordre des Médecins, au vu des résultats alarmants de la baisse des effectifs, décide de développer « la coopération technique » par l’embauche des IST dans les services inter-entreprises et de mettre en place de nouvelles formes de collaboration avec les IST exerçant dans les entreprises.
Depuis 2011, plusieurs réformes ont élargi petit à petit les missions des IST, leur permettant ainsi de participer activement au suivi de santé des salariés et aux actions de prévention dans les entreprises.
La Loi El Khomery du 8 aout 2016 signe la disparition de l’aptitude médicale, autorisant les IST, grâce à la mise en place de visites d’information et de prévention, de délivrer une attestation de suivi au même titre que le médecin du travail sous certaines conditions.
Ces différentes lois permettent ainsi aux IST d’assumer un rôle prépondérant dans le suivi de santé des salariés en France, cependant, un élément essentiel est largement occulté dans la mise en place de ces nouvelles missions : la formation .
Que dit la Loi ?
Article R4623-29 – Modifié par Décret n°2012-135 du 30 janvier 2012 – art. 1. L’infirmier recruté dans un service de santé au travail est diplômé d’État ou a l’autorisation d’exercer sans limitation dans les conditions prévues par le code de la santé publique. Si l’infirmier n’a pas suivi une formation en santé au travail, l’employeur l’y inscrit au cours des douze mois qui suivent son recrutement et favorise sa formation continue.
Cet article de loi , qui traite de la formation , laisse le champ libre à interprétation, l’employeur décidant quel type de formation, d’organisme, et de combien d’heures il convient à un infirmier pour être en capacité de suivre l’état de santé des salariés, il est seul à statuer.
Le résultat aujourd’hui de l’application de cet article expose de nombreux infirmiers à des conflits entre leurs compétences et leur capacité à prendre en charge les salariés et les injonctions de leurs employeurs souvent plus intéressés par une politique de rendement que par la qualité du service rendu.
Que dit le code de déontologie du Conseil International des Infirmiers sur la profession d’infirmière ? (Révisée en 2021).
Dans son chapitre sur la pratique :
Les infirmières assument une responsabilité personnelle dans l’exercice éthique des soins infirmiers et en sont les garantes ; elles cultivent leurs compétences en s’appliquant à se perfectionner de manière continue au niveau professionnel et à apprendre tout au long de la vie.
Les infirmières exercent dans les limites de leurs propres compétences et de leur champ de pratique réglementé ou autorisé et font preuve de discernement professionnel lorsqu’elles acceptent ou délèguent des responsabilités.
Les infirmières attachent de l’importance à leur propre dignité, à leur bien-être et à leur santé. Pour ce faire, il faut des conditions de pratique favorables, caractérisées par la reconnaissance professionnelle, la formation, l’analyse, des structures de soutien, des ressources adéquates, des pratiques de gestion judicieuses ainsi que la santé et la sécurité au travail.
Les infirmières peuvent, en toute conscience, refuser de participer à certaines procédures ou à des recherches en sciences infirmières ou dans le domaine de la santé, mais elles doivent faciliter des interventions respectueuses et prodiguées en temps voulu pour garantir que les personnes reçoivent des soins adaptés à leurs besoins individuels.
Sur le rôle des associations :
Promouvoir des politiques nationales garantes de la qualité de la formation des infirmières et des exigences pédagogiques relatives au renouvellement de l’autorisation d’exercer.
Que dit notre Code de déontologie ?
Art. R. 4312-32.-« L’infirmier est personnellement responsable de ses décisions ainsi que des actes professionnels qu’il est habilité à effectuer. »
« Il ne doit pas exercer sa profession dans des conditions qui puissent compromettre son indépendance, la qualité des soins ou la sécurité des personnes prises en charge. »
Art. R. 4312-63.« En aucune circonstance l’infirmier ne peut accepter, de la part de son employeur, de limitation à son indépendance professionnelle. Quel que soit le lieu où il exerce, il doit toujours agir en priorité dans l’intérêt de la santé publique, des personnes et de leur sécurité. »
La Loi du 2 aout 2021 pour renforcer la prévention et la santé au travail, transpose pour la première fois un Accord National Interprofessionnel conclu le 10 décembre par les partenaires sociaux et le patronat.
Cette Loi ne tient pas compte des différentes propositions qu’ont soumis les professionnels de santé au travail sollicités par Mme Charlotte Lecocq dans le cadre de sa mission sur l’amélioration de la prévention des risques en santé au travail demandée par le gouvernement en janvier 2018.
Dans son rapport remis au 1 er Ministre Edouard Philippe aux 16 préconisations en vue d’améliorer la santé au travail, de nombreux acteurs sont mentionnés, mais étrangement les IST ne font pas partie du « casting ».
Depuis, la crise sanitaire a bouleversé tout un pays et remis en question de nombreuses certitudes, malheureusement le législateur a trouvé le moment opportun pour passer en force certains décrets qui renforcent encore plus le pouvoir du médecin du travail et des employeurs.
Le médecin du travail peut désormais déléguer de nombreux actes jusqu’alors exclusivement réservés à ce dernier, lui seul décidant de la compétence de l’IST quelle que soit sa formation puisque aucun décret ne décrit le contenu de formation nécessaire pour exercer en santé au travail.
Ces décrets obligent les IST à se positionner une fois de plus par rapport à leurs niveaux de compétences, très hétérogènes selon le type de formation reçu, ils sont à nouveaux pris en étau entre leur éthique et les consignes dictées par leur employeur.
Qu’attendons-nous ?
- Un décret sur la formation précisant les modalités, le cursus requis pour tous les Infirmiers en santé au travail quel que soit le lieu d’exercice.
Ce décret tant attendu permettra une homogénéité, une harmonisation des formations et surtout donnera l’assurance d’une impartialité dans le service rendu aux salariés et aux employeurs.
Il ouvrira la voie à une meilleure reconnaissance de la profession des infirmiers en santé au travail.
- Au-delà des considérations relatives à notre profession, il est important d’avoir une vision macro, il s’agit de tout le système de santé au travail qui est en jeu.
De par l’allongement de la durée du travail, de l’émergence de nouveaux risques professionnels, de la démographie toujours en baisse des médecins, si le législateur ne reconsidère pas son point de vue, il est fort probable que nous assisterons à la fin de « la médecine du travail »
Quelles solutions ?
- Accepter que d’autres acteurs puissent apporter un point de vue complémentaire, une approche plus centrée sur le Medico Social, en tenant compte de nombreux critères souvent ignorés par le médecin du travail, mais qui sont essentiels dans la prise en charge du suivi de santé des salariés.
- Accepter que les infirmiers en santé au travail soient des collaborateurs ayant le même objectif d’assurer la préservation de l’état de santé des salariés.
Pour atteindre ce but il faut :
- Une reconnaissance de la spécialité en santé au travail pour les infirmiers à l’instar des médecins du travail.
- Renforcer l’autonomie et l’indépendance par une formation universitaire, par l’introduction de la pratique avancée en santé au travail et par la validation de son statut de « salarié protégé »
- Il faut que le décret sur la formation, repoussé à 2023, soit au cœur des prochains débats parlementaires de ce nouveau gouvernement et devienne une priorité pour la nouvelle Ministre du travail.
Conclusion
Force est de constater qu’après plus de 10 années de collaboration, de coopération des infirmiers en santé au travail, notre pratique n’est toujours pas reconnue, non seulement par le législateur mais surtout par de nombreux médecins du travail qui sous-estiment notre rôle.
La crise sanitaire que nous vivons depuis deux ans a sorti de l’ombre certaines professions jusque-là totalement ignorées du grand public
Le Ségur de la Sante n’a pas rassuré les professionnels de santé, la santé au travail n’y étant même pas mentionnée , comme si les infirmiers en santé au travail s’occupaient d’autre chose que de la santé.
Aujourd’hui il est crucial d’assurer pour les années à venir une bonne adéquation entre les besoins réels des salariés et ceux des professionnels de santé, afin qu’ils puissent exercer leur pratique conformément à leur éthique, leur déontologie et dans un cadre règlementaire leur assurant de manière irrévocable indépendance et autonomie.
Il est impensable de laisser sur le bas-côté une catégorie de professionnels de santé en capacite d’apporter une valeur ajoutée considérable à notre système de santé au travail pour des raisons purement économiques.
La prise en charge du suivi de santé des salariés mérite des professionnels de santé de qualité, aux compétences élargies , qui pourront répondre à la fois aux besoins des salariés et aux nouveaux défis de demain en santé au travail
« La santé c’est la vie dans sa plénitude et dans sa liberté » Constance Verrier- Georges Sand